Dans ses Suites pour violoncelle de Bach, Jean-Guihen Queyras crée la surprise.
Jean-Guihen Queyras revisite le cycle dont il avait signé une interprétation mémorable en 2007 (Harmonia Mundi).
Alors à l’aube de ses quarante ans, le violoncelliste proposait une lecture qui réconciliait les partisans des exécutions traditionnelles avec ceux recherchant des traductions plus conformes aux exigences musicologiques. Grâce à la liberté que lui autorisait une technique dominée, cette version élégante et lumineuse a fait date sans pour autant révolutionner la discographie, au contraire d’un Anner Bylsma en 1979 (Seon). La situation est un peu différente seize ans plus tard car entre temps de nombreux artistes qui, tels Queyras, évoluent hors du cercle« baroqueux» ont assimilé les données historiques et livré sans dogmatisme des témoignages passionnants, à l’instar de Raphaël Chrétien récemment (By Classique, 2021,CHOC, CLASSICA n” 260).
Mais une fois encore notre violoncelliste crée la surprise.
Dans un recueil de conversations avec Emmanuel Reibel (Bach: les Suites en partage, Éditions Premières Loges), Queyras évoquait naguère son cheminement exploratoire au sein de ce corpus emblématique et notamment sa participation aux représentations du spectacle chorégraphique signé Anne Teresa De Keersmaeker “Mitten wir im Lebensind/Bach 6 Cellosuiten”. Captée en 2022 sans public, la pièce est visionnable grâce au disque Blu-ray joint à ce coffret. On imagine très bien comment une expérience aussi cruciale a pu orienter l’évolution du musicien.
Il serait fastidieux de détailler chaque amendement apporté à la réalisation de 2007 mais l’enregistrement de 2023 confirme la maturation du violoncelliste, toujours sur un Gioffredo Cappa de1696 qui génère la même beauté malgré une démarche moins sensuelle qu’autrefois en assumant une sonorité quelque fois émaciée. Chaque note évoque un geste plus ciselé, plus stylisé (influence avouée du jeu de viole d’un Paolo Pandolfo), une attention accrue à l’harmonie, au rôle expressif des ornements. À l’intérieur de chaque prélude, de chaque danse, les éclairages et l’articulation se meuvent constamment; les variations dynamiques et les ruptures rythmiques semblent fondées sur des mouvements physiques, comme le genou du danseur qui feint de céder pour mieux relancer son corps dans l’espace.
En abordant ces disques nous avons le sentiment qu’ils traduisaient une quête de poésie raréfiée au détriment de la spontanéité tant il est moins question ici de séduire l’auditeur que de questionner la musique. Après plusieurs écoutes, l’accomplissement de l’artiste se révèle captivant dans son équilibre entre matière et pensée, avec un regard désormais tourné vers le replis de l’âme.