Le pianiste et le violoncelliste ont clôturé en beauté la saison de musique de chambre de Caecilia, au Conservatoire de Genève.

L’entente ne s’improvise pas. Elle s’impose naturellement puis se construit. Pour Alexandre Tharaud et Jean-Guihen Queyras, de passage jeudi à Genève, l’évidence de leur complicité éclate de la première note au dernier soupir.

Joyeux, farceurs et complices, le pianiste et le violoncelliste s’expriment sur le terrain du plaisir. Ce qui ne les empêche pas de plonger avec la même implication dans les tourments extrêmes. Comme les enfants le font, passionnément absorbés par des histoires élaborées sur l’imaginaire le plus pur.

Esprit frondeur et ardent

On peut d’autant moins s’empêcher de ressentir cette fraîcheur et ce sérieux enfantins que l’apparence adolescente des deux comparses semble inaltérable. Ensemble, ils ont clôturé la saison chambriste de Caecilia dans un état d’esprit ardent et frondeur qui a donné au concert des airs de fête.

Les œuvres du programme n’étaient pourtant pas censées divertir. Trois B majuscules à l’affiche: Bach (deuxième Sonate BWV 1028), Brahms (les deux Sonates) et Berg (Quatre pièces pour violoncelle et piano, op. 5). On n’aurait pas dit non à Beethoven, mais les choix ont leurs raisons de cohérence. D’autant qu’en bis, les onzième et cinquième Danses hongroises du grand Johannes s’inscrivaient dans une lignée logique.

Elan irrésistible et entraînant

Pour commencer, le rayonnement et la projection du Gioffredo Cappa de 1696 sont indissociables de Jean-Guihen Queyras. Qui des deux porte l’autre? On ne saurait dire tant le violoncelliste, plexus incrusté dans l’instrument, s’y appuie comme sur un troisième soutien. Deux jambes, une pique. Entre elles, les courbes boisées du Cappa, et la musique livrée avec ferveur.

Côté clavier, Alexandre Tharaud offre sa clarté, sa finesse et sa précision. Son énergie aussi. Moins extraverti que celui du violoncelliste, l’élan du pianiste n’en demeure pas moins irrésistible et entraînant. Dans une proximité à presque toucher son compagnon de jeu, Alexandre Tharaud tend l’oreille au moindre souffle.

Insouciance, légèreté, douceur et joie

Que retenir du concert? La chaleur du cantabile, qui passe de l’un à l’autre dans un entrelacs serré. On ne peut souhaiter meilleur rapport dans Bach, où chaque note tissée à l’autre compose un canevas vibrant d’harmonies.

Tharaud glisse des pizzicati veloutés sous les mélodies de Queyras, qui lui renvoie en écho un accompagnement sensible. Tapis mousseux de basses, lumières de chants: Bach respire l’insouciance, la légèreté, la douceur et la joie.

Les emportements, la puissance et le lyrisme reviennent à Brahms, dont les deux Sonates sont si librement inspirées qu’elles frisent l’expressionnisme, passant sans retenue des ténèbres à l’aveuglement dans un embrasement de toutes les touches.

Deux frères en musique

Quant à Berg, c’est peu dire que l’ultra-sensible en est l’univers. Entre des sonorités de cloches englouties, si debussystes, des gouttes embuées de notes et l’émergence successive de chaque instrument d’une matière commune, les deux frères en musique soulèvent avec délicatesse tout un monde de vibrations et d’affections. Plus qu’un beau concert, la soirée a tendu vers une communion musicale autant qu’humaine.

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