Anne Teresa De Keersmaeker dit du musicien prodige de Leipzig, Jean-Sébastien Bach, qu’ » aucun autre compositeur ne délivre cette sensation d’une parfaite rencontre entre abstraction et incarnation « . Depuis Toccata en 1993, la chorégraphe flamande croise ses chemins avec certaines des partitions de Bach. Elle y reviendra bientôt avec un nouveau projet, Concertos Brandebourgeois, accompagnée de la violoniste Amandine Beyer et un ensemble de jeunes musiciens. Mais c’est sans doute avec Mitten wir im Leben sind qu’elle s’approche le plus de l’œuvre du compositeur de génie dans une écoute partagée.
Ici, un principe évident : le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, cinq danseurs et – presque – rien d ‘autre. Si ce n’est ces dessins au plateau rehaussés de couleurs durant la performance. Queyras donc, de dos, de côté, de face. Et pour chaque soliste, une des Suites de Bach. Mitten wir im Leben sind va déployer deux heures durant ses charmes par le jeu des regards, par l’effet des sauts répétés, par le simple son du souffle. Et lorsque le silence s’impose, l’archet de Jean-Guihen Queyras suspendu, le geste des deux danseurs arrêtés, c’est encore de la chorégraphie. Et de la musique. On retrouve ici la grammaire propre à De Keersmaeker avec ses marches à reculons, ses équilibres sur le fil. Elle y ajoute une gestuelle quasi animale, corps rampant et délié.
Pas d’effets spéciaux, si ce n’est des entrées et sorties ou ces passages en bord de scène. Dans ce paysage en mouvement, Les Suites pour Violoncelle de Bach prennent une ampleur inédite. Il suffit de faire l’expérience de plisser les yeux pour voir une calligraphie vivante se jouer dans l’espace du théâtre. Jusqu’à ce final, les cinq interprètes réunis, comme une chorégraphie baroque dessalée en guise d’offrande. Il faut citer ici la troupe constituée pour ce projet : Bostjan Antocic, Marie Goudot, Julien Monty, Michaël Pomero et Femke Gyselinck – cette dernière, assistante d’Anne Teresa ayant assuré le remplacement de la chorégraphe blessée cet été. Ils sont tous et toutes, d’une manière ou d’une autre, des corps en résonance avec Bach. Il y a de la transe dans cet engagement, une énergie palpable qui fait lien avec le public. Et avec Jean-Guihen Queyras à l’évidence. » Pendant que je joue, je pense aux danseurs, à ce que peut signifier pour eux tel changement harmonique, tel silence, telle tension « , dit-il. » Pour moi, la musique de Bach porte en elle comme nulle autre le mouvement « , aime à dire Anne Teresa De Keersmaeker. La preuve par ce Mitten wir im Leben sind de haute volée.