Après avoir fait entendre au public toulousain l’un des plus célèbres concertos pour violoncelle du répertoire classique, le Concerto en ré de Haydn, Jean-Guihen Queyras défend cette fois-ci un outsider de la même époque : le Concerto pour violoncelle n° 1 d’Antonín Kraft. Il retrouve pour cela son complice le chef Riccardo Minasi. Le tandem a gravé l’oeuvre dans un enregistrement qui fera date, et favorise déjà l’émergence de cette pièce longtemps oubliée.

entretien avec Jean-Guihen Queyras

Le Concerto pour violoncelle n°1 de Kraft n’est pas vraiment connu du public : pouvez-vous nous le présenter ?

La partition donne un aperçu de la technique exceptionnelle de Kraft, violoncelliste lui-même. L’écriture de ce concerto représente en effet un Everest de la virtuosité classique. Les grands maîtres de son époque ont dédié des pages à Kraft, pour le moins spectaculaires : le Concerto en ré de Haydn, et la partie de violoncelle du Triple Concerto de Beethoven, fameuse pour sa virtuosité excessive, même déséquilibrée par rapport à celle des autres solistes violoniste et pianiste. On dirait qu’il lançait un défi aux compositeurs de son époque : « Allez-y ! On peut faire mille choses avec le violoncelle que personne n’a encore osé imaginer. » Kraft a certainement appris auprès de Haydn : la forme de ce concerto, j’entends par là son découpage en trois mouvements, autant que la construction de sa narration, suivent de très près celle du fameux Concerto en ré de son aîné. Je me plais d’ailleurs à imaginer que Kraft lui a montré la partition de son concerto, et qu’il a pris conseil auprès de lui.

Voulez-vous nous donner plus de détails sur la musique proprement dite ?

Il s’ouvre sur un pur premier mouvement de concerto classique, « Allegro aperto », avec un mélange de lyrisme et de gestes de virtuosité, de pirouettes pleines d’entrain. Le violoncelle évolue tant dans les aigus que cela sonne presque comme un concerto pour violon. Le deuxième mouvement ressemble à un air d’opéra, avec une ouverture de l’orchestre suivie d’un chant de violoncelle plein de colorature, dans le style du bel canto. La richesse de la mélodie lui donne beaucoup de légèreté et de luminosité. Quant au troisième et dernier mouvement, c’est un rondo, ce qui signifie qu’une mélodie très dansante va être répétée à l’envi. Kraft s’inscrit dans un goût pour l’exotisme, prégnant à l’époque, qui a par exemple donné naissance à des mouvements « à la hongroise » chez Haydn, Mozart et Beethoven. Il a choisi un finale « à la cosaque », avec un thème en apparence presque primitif. Concluant dans une sorte de feu d’artifice, Kraft se lance dans des gestes virtuoses assez fous, avec des acrobaties que je n’ai jamais eu à réaliser dans aucune autre œuvre du répertoire pour violoncelle. D’ailleurs, pour tout vous dire, il m’a fallu beaucoup de temps pour l’apprendre. La dernière fois qu’une pièce m’a demandé autant de travail pour en ancrer les gestes dans mes réflexes, il s’agissait d’une musique d’un tout autre style : Messagesquisse de Pierre Boulez !

Puisque vous évoquez Boulez… la redécouverte de ce concerto de Kraft, sa recréation en quelque sorte, vous rappelle-telle la création contemporaine ?

Soyons exacts : ce n’est pas moi qui sors cette partition de l’oubli. Avant que je ne la travaille, elle a même été enregistrée par
Anner Bylsma, interprète à qui je voue une immense admiration. Il n’y a effectivement pas tellement de différence entre créer
une pièce qui n’existait pas auparavant et remettre sous les feux de la rampe une œuvre qui a été un peu déconsidérée. Il va
falloir donner d’autant plus de passion à son interprétation qu’elle ne jouit pas d’emblée de la même reconnaissance que d’autres pièces du répertoire. Dans le cas du concerto de Kraft, je crois que l’oubli dans lequel elle est tombée est dû à sa difficulté, et au fait que son auteur ne bénéficie pas de la même aura que d’autres grands noms de son temps.

Comment avez-vous découvert ce concerto ?

J’ai longtemps collaboré en tant qu’artiste en résidence avec l’ensemble Resonanz, au sein duquel je pratiquais le joué-dirigé. Dans ce cadre, nous étions en quête permanente de pièces pour violoncelle et orchestre de chambre. Ce sont des musiciens particulièrement curieux, qui se plongeaient volontiers dans des recherches, qui ont émis l’idée de jouer ce concerto de Kraft.

L’ensemble Resonanz nous amène à évoquer la figure du chef d’orchestre Riccardo Minasi, qui dirigera ce concert et avec qui vous avez une relation particulièrement suivie…

Ma collaboration avec Riccardo Minasi a commencé lors de l’enregistrement d’un disque dédié à Carl Philip Emmanuel Bach,
avec Resonanz. Il a des millions d’idées qui fusent à la minute ! J’ai tout de suite perçu la chance extraordinaire que j’avais de jouer ainsi auprès de lui. Chance qui représente aussi sa part de challenge, et qui peut parfois déstabiliser ! En tant que soliste, alors que je suis aux prises avec des contingences techniques, Riccardo va me demander plus de ci, plus de ça : cela a un côté épuisant… et passionnant. Il explore en effet comme personne les espaces de liberté offerts par la musique et la partition, dont il va vraiment puiser toute la sève et toute l’énergie.

Gardez-vous de bons souvenirs de vos précédents concerts avec l’Orchestre national du Capitole ?

Bien sûr. Le dynamisme de cet ensemble suscite une reconnaissance unanime. Il véhicule une force de vie contagieuse, dont je profite pleinement en tant que soliste. Avec Riccardo à la baguette, voilà vraiment une combinaison parfaite !

Voulez-vous nous dire quelques mots de votre violoncelle ?

Avec d’autant plus de plaisir que des changements ont eu lieu très récemment ! On vient de me mettre entre les mains
un éblouissant Stradivarius de 1706. Il est très particulier dans la richesse et la densité de son timbre. Quels que soient le registre et la dynamique, il parvient à irradier le son dans toute la salle. Un phénomène qui tient de la magie. Comme il a longtemps appartenu à une famille prussienne, dont il arbore même le sceau, il porte le nom assez curieux de « Kaiser ». Selon toute vraisemblance, c’est lui qui m’accompagnera à Toulouse !

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