« Mitten wir Im Leben Sind », sur du Bach, est présenté à la Philharmonie de Paris dans le cadre du Festival d’automne.
Du ruban adhésif pour tirer des lignes, tracer des flèches qui filent et des étoiles qui explosent, des courbes qui jettent des ponts jusqu’à affoler le cosmos. Les rubans multicolores collés sur scène par les interprètes tout au long de Mitten wir Im Leben Sind, spectacle austère et beau de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, ressemblent à une partition pour des circonvolutions infinies. Au point qu’on se surprend parfois à projeter mentalement au sol les dessins que laisseraient derrière eux les mouvements des interprètes. Parler plateau à propos d’Anne Teresa De Keersmaeker en dit déjà long sur son art. La mémoire, les strates et les multiples peaux de ses pièces sont souvent lisibles sur le tapis de scène. Celui de Mitten wir Im Leben Sind rappelle, par exemple, celui de Vortex Temporum, créé en 2013 par la chorégraphe flamande. Les courbes, les rosaces, les entrelacs y étaient tracés à la craie sur un sol noir, donnant au passage les codes de la danse tourbillonnante d’une femme qui a baptisé en 1983 sa compagnie Rosas. On les retrouve comme en palimpseste dans Mitten wir Im Leben Sind. Sous le ruban adhésif, le compas, celui que la chorégraphe a aussi dans les jambes, marque le terrain. Les histoires se superposent, les chorégraphies s’enroulent les unes dans les autres. C’est le cas de Mitten wir Im Leben Sind. Présenté en juillet à Montpellier Danse, le spectacle est à l’affiche jusqu’au 19 novembre à la Philharmonie de Paris, dans le cadre du grand portrait consacré à cette artiste par le Festival d’automne. La pièce pour trois hommes et deux femmes s’engouffre dans la dynamique de Partita 2, créé en 2013 par Anne Teresa De Keersmaeker et Boris Charmatz, sur la partition éponyme de Bach. La violoncelliste Amandine Beyer se fichait alors droit debout sur l’immense espace vide de la scène du Palais des Papes, à Avignon, pour donner la réplique aux deux danseurs. En vedette paradoxalement discrète de Mitten wir Im Leben Sind, c’est le violoncelliste Jean-Guihen Queyras qui y interprète Bach. Comme toujours, le défi de chorégraphier le musicien et les danseurs trouve chez Anne Teresa De Keersmaeker une nouvelle riposte sobre et ajustée. A chacune des différentes Suites, Queyras change tranquillement de place en emportant son tabouret avec lui. Cette installation, qui prend un certain temps dans le silence, dégonfle l’aspect spectaculaire et artificiel de la représentation, rattrapée ici par le côté pratique et humain de l’entreprise. Posé côté gauche, au milieu, en biais, de dos, Jean-Guihen Queyras focalise à chaque fois différemment la danse en déplaçant le centre du spectacle. Il donne à voir son attaque physique de Bach sous différentes facettes, tout en devenant le repère-aimant des interprètes. Il distribue Bach comme un long ruban flexible qui prend les danseurs au lasso, chacun délivrant des flux mouvementés, sauts, courses et gambades. La détente et le rapport au sol, des hommes en particulier, emportent l’écriture de De Keersmaeker vers des horizons acrobatiques. Plus instinctive, plus rugueuse, sa ligne gestuelle n’en demeure pas moins limpide. Surtout, l’obsession du lien musique et danse cultivé par Anne Teresa De Keersmaeker depuis le début des années 1980 éclate. Tandis que ses volutes incorruptibles s’allient avec Bach, l’émotion monte doucement mais sûrement devant tant de passion intacte.Côté pratique et humain
Un long ruban flexible