Prise de pouvoir au Kennedy Center, offensive contre les politiques de diversité, humiliation du président ukrainien… Le début du mandat de Trump provoque des remous. Mais peu de musiciens osent encore prendre la parole ouvertement. Reportage.
Quel avenir pour la culture et la musique sous le mandat de Donald Trump ? En poste officiellement depuis janvier, le président des États-Unis a multiplié, dès son arrivée au pouvoir, les décisions controversées, qu’elles concernent la politique intérieure, extérieure, l’éducation ou la culture. Si les prises de position publiques des artistes sont encore peu nombreuses, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les décisions de l’administration Trump, qui menacent directement certaines initiatives.
Un programme en faveur des compositeurs afro-américains suspendu
Le programme visait à promouvoir les compositeurs afro-américains, il a fait les frais de l’administration Trump : « Emerging Black Composers », projet piloté par l’Orchestre symphonique et le conservatoire de San Francisco, a été suspendu après une note du département de l’Education américain. Ce dernier pousse les écoles à renoncer aux programmes consacrés à la diversité sous peine de perdre leur financement. « Je crains qu’à l’avenir, les compositeurs afro-américains n’aient plus les mêmes opportunités », déclare Trevor Weston, premier lauréat du projet créé en 2021 : « Le programme aurait du s’étaler sur dix ans, et avait pour objectif de promouvoir ces compositeurs, dont les œuvres sont rarement jouées par les meilleurs orchestres des États-Unis. Ce projet leur donnait la possibilité de diffuser leur musique. »
« Personne ne sait exactement ce qu’il va se passer, c’est au jour le jour. Pour moi, c’est un choc. Et il y a une croyance selon laquelle ces programmes aident des gens qui ne seraient pas qualifiés. Or c’est l’inverse ! Ils sont qualifiés, mais on ne leur donne pas d’opportunités », poursuit Trevor Weston. Il adresse un message à tous les compositeurs afro-américains qui craignent les décisions de l’administration Trump : « Les choses n’ont pas toujours été faciles pour la communauté afro-américaine. Et en période de détresse, ou de violences, nous avons toujours utilisé la musique pour répondre, et pour nous rassembler. À l’heure où l’on parle, le projet « Emerging Black Composers » est suspendu, oui, mais ça ne signifie pas que vous ne pouvez plus écrire de musique. Donc continuez de composer, essayez de vous rapprocher d’amis artistes, pour qu’ils jouent vos œuvres. Trouvez d’autres moyens de présenter votre musique au public. » Au-delà de la suspension du projet « Emerging Black Composers », Trevor Weston évoque une tétanie généralisée, une sidération de la scène culturelle américaine, avec une question : « les arts continueront-ils, à l’avenir, d’être soutenus ? »
Turbulences au Kennedy Center
Des artistes inquiets, aussi, de ce qu’il se passe au Kennedy Center, centre culturel emblématique de Washington. Jeudi dernier, le public a hué JD Vance, le vice-président des États-Unis, qui assistait à une représentation. Cela fait suite à la prise de pouvoir de Donald Trump sur le Kennedy Center : le président, qui jugeait l’institution trop « woke », a évincé l’ancienne direction et pris la tête du conseil d’administration. Il a depuis nommé des sympathisants, confortant sa mainmise sur le centre. Dernières en date : Laura Ingraham et Maria Bartiromo, présentatrices de Fox News, chaîne de télévision pro-Trump.
Depuis, les déprogrammations s’enchaînent, à commencer par la célèbre comédie musicale Hamilton. « Nous refusons d’être associé à ce lieu tant que ce sera le Trump Kennedy Center », a déclaré le créateur du spectacle, Lin-Manuel Miranda. Parmi les retraits volontaires, nous pouvons aussi citer la musicienne afro-américaine Rhiannon Giddens. Mais il y a aussi des annulations à contrecœur : le « Gay Men’s Chorus » de Washington, par exemple, un chœur composé d’hommes gays. La date de leur représentation a disparu du jour au lendemain du site du Kennedy Center, sans explication. Des déprogrammations, et des démissions : Ben Folds, le conseiller artistique de l’orchestre national symphonique – hébergé par le Kennedy Center – a claqué la porte, tout comme Renée Fleming, elle aussi conseillère artistique. Pas de commentaire politique ceci-dit de la soprano, qui dit avoir démissionné par solidarité envers les directeurs évincés.
Des musiciens prennent la parole
Au-delà de la politique culturelle, la politique extérieure de Donald Trump provoque des remous. Notamment sa position vis-à-vis de l’Ukraine et la façon dont il a traité son président, Volodymyr Zelensky. Le pianiste de jazz Brad Mehldau s’est dit « horrifié ». Le violoniste Christian Tetzlaff, lui, a carrément annulé sa tournée aux États-Unis. Indignation, aussi, du violoncelliste français Jean-Guihen Queyras : « Les images vraiment obscènes d’un héros de guerre, qui se fait humilier par des gens d’une médiocrité incroyable en direct devant les caméras, ont un peu été l’élément déclencheur. Tout à coup, les masques sont tombés, on a su à quoi s’en tenir. »
Jean-Guihen Queyras qui a décidé de maintenir ses cinq concerts prévus aux Etats-Unis. Mais il reversera les bénéfices à la fondation du président Zelensky, United24 : « C’est la ligne de crête que j’ai trouvée. J’y vais, je joue, j’échange avec le public américain, mais l’argent récolté servira à défendre, ou en tout cas à soutenir l’Ukraine. Je ne dirais pas que j’ai l’espoir que cette goutte d’eau puisse devenir un battement d’aile de papillon. Mais je crois que chacun doit faire ce qui lui semble juste, avec les moyens dont ils disposent […]. Je crois qu’il ne faut pas avoir peur non plus de parler. Nous pouvons être artiste et ressentir le droit, peut-être même le devoir, de s’exprimer en tant que personnalité publique. »
Timides prises de position
Les paroles d’artistes renommés, classiques notamment, restent ceci-dit peu nombreuses pour le moment. « Je crois que le climat extrêmement incertain favorise une forme de chasse aux sorcières, avec des méthodes qui vont de l’intimidation à l’autocensure », observe Loïc Lachenal, vice-président des Forces Musicales, syndicat qui regroupe une cinquantaine d’opéras, d’orchestres et de festivals en France : « Il y a aussi une technique de saturation de l’information : il n’y a pas un jour où sur le même sujet, tombent plusieurs informations contradictoires et péremptoires. Tout cela crée un sentiment de sidération, voire même de capitulation. » Le syndicat compte-t-il prendre position ? « Peut-être faut-il se préparer à ce que l’on ait des sortes de réfugiés ou rescapés de l’intelligence et de la culture. Nous pourrions alors accueillir des artistes qui se sentiront exclus, procéder à des levées de fonds… Mais je pense que nous verrons tout cela dans un deuxième temps. »
« Si nous nous y mettons tous, cela peut quand même faire bouger les choses », estime de son côté Alexandre Tharaud, joint par France Musique : « Et nous ne devons pas nous faire d’illusions : ce qu’il se passe aux États-Unis se passera en France si jamais l’extrême-droite arrive au pouvoir. Il n’y a pas d’exemple de gouvernement d’extrême-droite qui ne musèle pas, il n’y a pas d’extrême-droite honnête », tient aussi à souligner le pianiste, qui s’était déjà exprimé à ce sujet sur notre site.