Exemplaire, le programme réunit trois partitions orchestrales majeures d’Henri Dutilleux servies avec une éloquence assez personnelle dont frappe l’admirable hauteur de vue. Somptueuses et flamboyantes sous d’autres baguettes (par exemple Charles Munch, Erato), les cinq Métaboles (achevées en 1964) sont éclairées ici sous un angle peut-être moins orthodoxe, mais aussi hiératique, sauvage, raffiné et fidèle à la conception du temps propre au compositeur. Conception où les notions de prémonition et de réminiscences posent les bases non figées et évolutives du langage que Dutilleux développera au cours des deux décennies suivantes.
Architecture aérienne
En passe de devenir le concerto pour violoncelle du XXe siècle le plus choyé par le disque, Tout un monde lointain (1967-1970) s’inscrit dans le sillage des Métaboles, ses cinq mouvements enchaînés étant chacun placé sous l’égide d’un poème de Baudelaire. Jean-Guihen Queyras l’a déjà enregistré il y a vingt ans avec Hans Graf et l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine (Arte Nova/Sony) ; il offre une nouvelle version amplement mûrie, une lecture dense, souverainement équilibrée et extraordinairement intériorisée. Dans un dialogue précis, riche d’arrière-plans et de sous-entendus, le parcours se structure en une architecture aérienne dépassant de loin la seule merveille de l’illusionnisme sonore. Moins anguleux que récemment Victor Julien-Laferrière (Alpha, Diapason d’or, cf. n° 724), Queyras privilégie l’élan visionnaire.
Tels Brahms, Mahler ou Chostakovitch, Dutilleux a signé avec sa Symphonie n° 1 (créée en 1951) un véritable coup de maître. Etonnamment âpre et même secouée d’accents tragiques, l’interprétation de Gimeno et des musiciens luxembourgeois rend particulièrement justice à l’œuvre. De la violence hautaine et lapidaire de sa Passacaille initiale jusqu’à la plupart des variations du finale, elle se maintient dans un climat d’oppression. Ni la fausse détente du scherzo, ni le caractère à la fois plus rêveur et bouleversant de l’Intermezzo – dont la ligne mélodique se développe avec une rare continuité – ne rompent le fil tendu de ce discours, constamment soutenu par une trame polyphonique chargée et pourtant irradiante de lumière comme de poésie. Un sévère et éblouissant chef-d’œuvre.
HENRI DUTILLEUX : Métaboles. Tout un monde lointain*. Symphonie no 1. Jean-Guihen Queyras (violoncelle)*, Orchestre philharmonique du Luxembourg, Gustavo Gimeno. HM. Ø 2023. TT : 1 h 19’. Diapason d’or