Le violoncelliste français et la chorégraphe belge se sont associés pour un spectacle, devenu film, où danse et musique interagissent de manière souple et poétique.
La chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker a toujours manifesté son goût pour la musique jouée en direct, notamment celle pour violon ou violoncelle seul de Johann Sebastian Bach, un compositeur auquel la Belge est liée intimement – elle a composé d’autres ballets sur ses Variations Goldberg ou ses Concertos brandebourgeois notamment.
Elle a ainsi, en 2017, chorégraphié les Six Suites pour violoncelle seul BWV 1007-1012, après sa rencontre avec le violoncelliste Jean-Guihen Queyras qui, comme tout praticien de cet instrument, les connaissait depuis sa jeunesse et en avait réalisé un formidable enregistrement, dix ans plus tôt, pour Harmonia Mundi. Le Français y faisait siens les acquis du jeu à l’ancienne, dit « historiquement informé », tout en jouant un instrument, certes cordé en boyau, mais avec archet moderne et pique (un accessoire ajouté au cours des années 1830), ainsi qu’il le fait dans le film Dialogue avec Bach que propose Arte.
Le programme – entrecoupé d’interventions de Keersmaeker et Queyras – reprend des extraits du spectacle original, mais recompose totalement son propos en le filmant sur un plateau, sans public, associant de manière subtilement fluide les mouvements de caméra de Corentin Leconte à ceux des cinq danseurs (dont Anne Teresa De Keersmaeker, 63 ans, qui intervient lors d’un solo, d’un duo et du quintette final sur la Sixième suite, entendue dans son intégralité).
Queyras dit avoir été fasciné, chez Keersmaeker, par « la connexion profonde entre la structure musicale et la structure du langage qu’elle mettait en rapport ». La chorégraphe dit revenir à Bach, « toujours structuré sans être systématique », parce que « tout y est ancré dans l’expérience humaine » et qu’il y a toujours en sa musique « de la danse et du mouvement ».
Interaction fructueuse
Ce qui est intéressant, dans cette manière de faire cohabiter les gestes chorégraphique et musical en temps réel, est que les deux ne semblent pas liés par les contraintes de synchronisation habituelles et s’expriment dans une sorte de rubato partagé. Interaction fructueuse que confirme la chorégraphe : « Jean-Guihen influe sur notre façon de danser. Nous prenons des décisions dans l’instant, et cela, c’est amusant ! ».
Pour autant, les mouvements des deux parties sont proprement concertants et l’on pourrait même penser qu’ils s’accordent à l’occasion aux figures géométriques tracées sur le sol, que la caméra filme parfois en plongée et qu’on pourrait prendre pour une notation de chorégraphie ou un plan cosmogonique. Ce qui n’aurait rien de surprenant de la part de Keersmaeker qui avoue « une fascination pour la géométrie, le cercle, la spirale, les vagues gravitationnelles ».
Et il y a ces moments très beaux, quand les danseurs s’allongent et semblent pris dans l’un de ces sommeils dont l’opéra baroque regorge, propices au rêve, aux fantasmagories. Dans la « Sarabande » de la Sixième suite, ces corps immobiles sont-ils des dormeurs paisibles ? Des rescapés ou des victimes échoués sur le rivage ? Des corps glorieux au repos (après tout, Queyras et Keersmaeker voient cette suite comme une « Résurrection ») ? Intrigant mystère.
ARTE – DIMANCHE 22 OCTOBRE – 18 H 40 – DOCUMENTAIRE SPECTACLE