Entre Jean-Guihen Queyras et Pierre Boulez, c’était presque une histoire de famille. Depuis l’entrée du violoncelliste à l’Ensemble intercontemporain en 1990, et malgré son départ en 2001, une filiation à la fois musicale, spirituelle et humaine les unissait.
La première fois que Jean-Guihen Queyras a joué sous la direction de Pierre Boulez, c’était un extrait de la Sérénade op. 29 de Schönberg, pendant le concours d’entrée à l’Ensemble. Après avoir joué le passage une première fois tout seul, le violoncelliste de 23 ans voit celui qu’il considère comme un géant de la musique se lever, venir vers lui, et lui donner quelques instructions. Après quoi, Queyras rejoue l’extrait, cette fois sous la direction du chef et compositeur. « J’ai ressenti dans ces premières quarante secondes de musique partagées avec Pierre ce dont j’allais faire l’expérience au cours des dix années suivantes passées au sein de son ensemble, se souvient le violoncelliste : une présence absolue, une calme intensité qui avaient le pouvoir de galvaniser ses interprètes, un feu intérieur qui lui permettait d’aller chercher au plus profond d’un instrumentiste le meilleur de lui-même, de se transcender. »
Comme pendant de cette profondeur musicale, la relation entre les deux hommes sera aussi bien souvent primesautière, mais toujours sous le signe d’une immense bienveillance. Le lendemain du concours, les parents du jeune Queyras reçoivent dans leur atelier de poterie de Forcalquier, en Provence, la visite d’une petite dame énergique et pleine d’humour, elle aussi, qui leur lance : « Je suis la sœur de Pierre Boulez. Il me charge de voir d’où sort sa nouvelle recrue ! » C’est ainsi que Jean-Guihen Queyras découvre en Pierre Boulez un voisin de la famille : le compositeur s’était en effet fait construire, en 1979, une maison à l’architecture remarquable près de Saint-Michel-l’Observatoire, à quelques kilomètres de Forcalquier. Plus tard, Jeanne Chevalier (née Boulez) sera une habituée du festival fondé par Queyras dans son village. Pierre Boulez lui-même s’y rendra à l’occasion.
Entretemps, c’est à Jean-Guihen Queyras que le maître confie ses plus vertigineuses partitions pour violoncelle, telle la partie soliste de Messagesquisse (qu’ils enregistreront en 1999). C’est aussi Queyras qu’il choisit pour enregistrer le Concerto pour violoncelle de Ligeti avec l’EIC en 1994. Et quand Pierre Boulez remporte le Glenn Gould Prize en 2002, le violoncelliste a certes quitté l’Ensemble depuis un peu plus d’un an, mais c’est quand même sur Queyras qu’il jette son dévolu pour le Glenn Gould Protégé Prize, signe de cette amitié musicale quasi filiale qui les unira toujours. « Je garde de mes dix ans au contact quasi quotidien de Pierre le souvenir d’une chaleur humaine, d’une grande fidélité, d’une authenticité basée sur une constance et sur le dévouement à un idéal, écrit le violoncelliste. Et je retiens que, si l’on veut voir loin ou grand, il faut avancer pas à pas, un pizzicato à la fois. »