Strasbourg, le Japon, Taiwan, l’Espagne pourront entendre le violoncelliste Jean-Guihen Queyras d’ici la fin de l’année. En juin, il sera au festival Bach de Leipzig avant de revenir dans la maison familiale à Forcalquier pour s’occuper du festival Rencontres musicales en Haute-Provence qu’il a co-fondé en famille.

La famille ! Vaste mot ! Il peut prendre autant de valeurs différentes dès qu’il est prononcé. Il résonne dans la bouche du violoncelliste Jean-Guihen Queyras quand on l’écoute. On pioche des mots d’ici ou là pour en trouver la veine et en libérer le sens. Etudiez par exemple son agenda et attardez-vous à suivre une de ses  tournées, que ce soit au Japon ou en Espagne. Un jour, il joue seul avec un orchestre, les suivants en ensemble de musique de chambre et ensuite en duo avec un pianiste. A chaque fois un programme différent.

On le comprend au cas où des auditeurs d’un même pays le suivraient de salle en salle, mais il suggère aussi des univers aussi changeant que les couleurs du ciel. Le reflet de sa discographie est à cette image où il relie Bach et Boulez, Ligeti ou Beethoven, la musique savante à celle des Balkans. Et ce n’est pas fini puisque l’été dernier Jean-Guilhen Queyras a retrouvé le saxophoniste Raphaël Imbert, originaire de Forcalquier aussi, tout comme lui. Il a lancé Nine Spirit, projet tourné vers le jazz raconte le violoncelliste : « Ce sont toujours des rencontres et là il s’est passé quelque chose. On a fondé Invisible Stream avec le batteur guadeloupéen Sonny Troupé et Pierre-François Blanchard. C’est un pianiste incroyable il joue tout en perlé. On mélange des standards du jazz, mais aussi des musiques de Schubert ou Wagner ou du Gospel. »

Rien d’étonnant, me direz-vous pour un musicien de multiplier les genres, comme on multiplie ses goûts et ses désirs. Surtout quand comme lui les changements font partie de sa vie avec des valises faites et défaites. Né à Montréal avant un déménagement en Algérie, avant que la famille s’établisse durablement à Forcalquier dans les Alpes-de-Provence. Un temps réduit pour Jean-Gulhen Queyras, qui a quitté la maison à 13 ans pour le Conservatoire national supérieur de musique de Lyon.  Installé maintenant en Allemagne, il revient se ressourcer dans la maison familiale dans l’autre versant du Luberon : « J’ai vécu là cinq ans, mais j’y suis attaché. »

D’autant plus attaché qu’alors étudiant il avait fondé un festival avec sa famille en attirant des copains du conservatoire de Lyon. La tradition et la transmission ont les mêmes racines. Que la musique et les musiciens aillent vers les publics lui parlent : « Notre idée était justement de partager la musique dans de petites églises, dans des endroits éloignés. » Mais ce festival fondé en famille n’est-ce pas aussi s’enraciner quelque part, lui qui se pose parfois la question d’un ailleurs : « Je ne sais pas quand et comment j’arrêterais, si comment mon corps et mes doigts seront dans quelques années. Casals a joué jusqu’à 92 ans. Je peux toujours enseigner. Je me pose la question : où est-ce que je vais aller quand je ne serais plus professeur en Allemagne. Peut-être au Pays-Bas ? »

Le sens de la famille naîtra là à Forcalquier ce village accroché au contrefort de la Durance ou au conservatoire de Manosque, explique-t-il : «Je dois beaucoup à ma professeur Claire Rabier. Elle me donnait mon cours qui devait durer quarante-cinq minutes et ensuite je restais tout l’après-midi au conservatoire et je participais à l’ensemble de violoncelles, même je m’étais détaché du lot car je progressais à un autre rythme. Travailler avec un collectif c’était important. Ça permet de jouer ensemble. La musique c’est du partage. Quand on joue seul c’est avec le public, en formation c’est avec les autres musiciens. Ce sens de la famille vient aussi de la maison où nous sommes cinq enfants.  Je me rends compte que ça me convient de travailler dans cet esprit. Je ressens cet esprit de famille chez Harmunia Mundi. Je suis allé dernièrement à Londres chercher un prix au nom d’un collectif. Jouer en musique de chambre c’est participer à un collectif. »
Au Japon par exemple il va donner un concert avec son complice de toujours : le pianiste Alexandre Tharaud : « Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué ensemble. Comme il était au Japon au même moment, on a pu s’arranger pour trouver une date commune. Il s’est produit la même chose avec Eric Le Sage et Emmanuel Pahud. »

C’est ça aussi la famille : se retrouver sur scène.

La violoniste canadienne Hélène Collerette dit à l’envi qu’en vivant à l’étranger on n’est plus de son pays car on n’est pas au fait des événements et qu’on n’est pas du nouveau pays car on ne connaît pas son histoire. Peut-être alors que l’esprit de famille de Jean-Guihen Queyras est entretenu par le fait qu’il est expatrié : « Ce que dit Hélène est juste, c’est un peu mon histoire d’être expatrié sur le long terme. Le sens du partage a sans doute chez moi comme vecteur la musique. Un artiste est à la maison sur scène, c’est ce qui nous fédère. »

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