L’Orchestre symphonique de Québec (OSQ) et son chef, Clemens Schuldt, recevaient jeudi le violoncelliste Jean-Guihen Queyras pour le Concerto pour violoncelle d’Antonín Dvořák. La lecture sensible, à fleur de peau, du violoncelliste et de l’orchestre restera longtemps dans les mémoires.

Il y a tellement de leçons à tirer de ce concert au Grand Théâtre de Québec qu’il est difficile de savoir par où commencer. Alors, l’institution d’abord. Avec son nouveau chef, Clemens Schuldt, qui a entamé sa seconde saison il y a une semaine, l’OSQ a indéniablement le vent en poupe. Cela se voit de part et d’autre de la scène, à travers l’attention extrême et le magnétisme suscités par le chef, de la part des musiciens et du public. Schuldt réussit à imposer une atmosphère à la fois concentrée et détendue.

Ne pas oublier

Dans la forme du concert, ce chef inventif a remis sur le métier un acquis intéressant de la pandémie que tout le monde semble avoir oublié : le concert musicalement nourrissant, mais sans pause. Intermezzo de l’opéra Notre-Dame de Schmidt, La mer de Debussy et le Concerto pour violoncelle de Dvořák : c’était une très belle soirée musicale, achevée en apothéose, et, à 21 h, tout était plié. Au fond, une sortie au concert n’est pas une activité « à qui peut être le plus fatigué possible le lendemain matin » et si c’est faisable comme ça, cela pourrait intéresser une partie de la clientèle.

Sur le plan musical, les analyses et ambitions du chef allemand pour l’OSQ étaient bien énoncées dans notre récent entretien paru dans Le Devoir il y a quelques semaines. À ce titre, on peut imaginer que l’Intermezzo de Notre-Dame de Schmidt n’était pas juste un apéritif sonore, mais une manière de travailler la matière des cordes, la puissance et la rondeur qu’il va falloir améliorer au fil du temps.

Parmi les enseignements de la soirée, il y a aussi le fait que cet orchestre est indéniablement entre de bonnes mains. Dans une oeuvre aussi emblématique de l’esprit et du style orchestral français que La mer, Clemens Schuldt ne se trompe pas. Les passages qui pourraient devenir grandiloquents, il les brosse a tempo dans un souffle unitaire, alors que les transitions thématiques ou d’atmosphères, là où, chez Debussy, il faut souvent « céder un peu », sont abordées avec une sensibilité remarquable.

Là aussi, on souhaite à Clemens Schuldt et à l’OSQ de nombreuses années ensemble, car, dans le 1er mouvement notamment, on décode la gestique du chef comme celle d’une interprétation encore plus bouillonnante, vigoureuse et audacieuse que celle que l’on entend. Il est vrai que dans une telle partition, on perçoit tout de même la différence entre un orchestre de 60 membres et un orchestre de 90. L’OSQ pourrait-il, dans ces cas, tirer bénéfice d’une sorte de tutorat avec de jeunes musiciens, un peu comme l’a fait Jordi Savall en élargissant son orchestre pour ses Symphonies de Beethoven ?

L’autre violoncelle

Avec Jean-Guihen Queyras, on attendait, aussi, d’entendre le fameux violoncelle prêté par la Fondation Canimex et le mécène Roger Dubois. On en a finalement entendu un autre, un Stradivarius de la même fondation ! Quel que soit celui sur lequel Jean-Guihen Queyras se fixera, l’instrument dont émanait sa musicalité, jeudi, était « sa voix ». Le son n’est pas gros et gras, il n’est pas ligneux non plus. Acoustiquement, il a les caractéristiques de la Maison symphonique, avec un aigu et moyen aigu, d’une intense lumière, et un ton chaleureux, mais jamais flagorneur.

C’est aussi là, le style de Queyras, dont l’interprétation restera dans notre mémoire comme celles, jadis, des Concertos pour piano nos 1 et 3 de Beethoven par Radu Lupu en concert. Dans ses grands jours, Radu Lupu avait une manière d’attaquer ses mouvements lents dans un susurrement, une touche unique qui n’appartenait qu’à lui.

Ce sont ces moments aux confins du silence, mais jamais maniérés, que nous avons eus ; des instants uniques, une expérience d’écoute où des auditeurs tétanisés semblent regarder un tableau qui prend vie. C’est là l’essence de la beauté et du mystère le plus profond de la musique, en équilibre sur un fil, avec un orchestre qui enrobait cette poésie avec respect et attention.

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