Dans deux concertos de CPE Bach, une leçon de Riccardo Minasi et Jean-Guihen Queyras : organiser l’exubérance. Enivrant.
La concurrence est rude.
Sur cordes en boyaux (Bruns, Skalka, Alstaedt), comme en métal (Mork, Isserlis, Wallfisch), les concertos pour violoncelle de CPE Bach ne connaissent que des réussites depuis quinze ans. Elégants et conquérants, sanguins et narcisses, romantiques et stratèges y trouvent tous un théâtre accueillant, où la musique passe impatiemment de caractère en caractère et d’une idée saisissante à l’autre. Vingt-cinq ans après le duel hautain et cinglant de Leonhardt et Bylsma ( Virgin, Diapason d’or), Ophélie Gaillard triomphait, dans une intégrale des cinq concertos, par une invention sonore relayée dans le moindre détail par son fidèle Pulcinella (Aparté, idem).
Si Resonanz, ce collectif-caméléon, s’avère aussi déterminant dans l’album de Jean-Guihen Queyras, c’est dans un tout autre rapport de force. Riccardo Minasi en fait un agent provocateur, qui décoche gifles et pied de nez sous les tirades du soliste après avoir déboulé (début du Concerto en la mineur) avec le regard ahuri d’un acteur courant en scène annoncer la chute de Troie.
Oreille Absolue
Cette image, Minasi l’articule à cent autrs avec une maîtrise du timing et une efficacité des transitions bluffantes. Son oreille, connue pour entendre absolument tout quand ce violoniste prend la baguette, est un autre atout pour savoir “jusqu’où il peut aller trop loin”, dans un rôle qui destabilise et réhausse à la fois l’intensité de la partie soliste. Queyras ne demande pas mieux : il garde le cap tantôt en grand seigneur, tantôt en une faune rêveur (des trésors de nonchalance dans le premier allegro du Wq 172 ) et sort les crocs quand pesonne ne s’y attend plus. Ses cadences seront toutes des sommets.
Le final du Concerto en la majeur posera tout de même le point de limite d’une recherche qui multiplie les champs-contrechamps. Des versions simplement jubilatoires, qui se laissent porter par l’élan irrésistible de la ritournelle, donnent aussi bien le change dans ce mouvement. mais on l’écoute groggy après le largo mesto (et non maestoso !). Les contemporains de Beethoven voyaient, au coeur de son Concerto pour piano n°4, la descente d’orphée aux enfers : Minasi et Queyras la lisent ici. Gémissements, contours mélodiques incertains, suspensions, textures blafardes, portamentos bizarres, ombres errantes. Un tableau qui serait grotesque s’il n’était génial.