Le violoncelliste français né à Montréal Jean-Guihen Queyras sera l’invité de l’Orchestre symphonique de Québec (OSQ) le 26 septembre. Son nouveau CD affichant un concerto d’Antonin Kraft sort cette fin de semaine et un nouvel enregistrement des suites de Bach sera publié dans trois semaines. L’artiste, qui joue depuis février sur un violoncelle prêté par Roger Dubois, mécène québécois, revient d’un voyage à Kiev, où il a souhaité apporter la musique en soutien aux Ukrainiens.

Le choix du risque

En cette seconde moitié du mois d’août 2024, Jean-Guihen Queyras a troqué le confort des grands hôtels des tournées musicales pour aller jouer en Ukraine. La première étape pour lui était de demander s’il dérangerait ou si sa venue pouvait apporter un peu de baume au coeur. Denis Severin, un ami violoncelliste ukrainien enseignant en Suisse, l’a rassuré et a fait jouer ses contacts, notamment avec la Kyiv Camerata, le meilleur ensemble encore actif sur place. « Denis m’a conforté en me disant : “Si tu es prêt à y aller, ce sera un cadeau, car ce qu’enlève cette guerre aux Ukrainiens, en plus des terribles conséquences sur leur vie quotidienne, la perte des pères, des frères et des cousins, c’est le contact avec l’extérieur, puisque c’est une zone vers laquelle personne ne veut aller.” »

Pour sa visite, le violoncelliste n’a bénéficié d’aucun cadre officiel : « Paradoxalement, si l’on voulait passer par les instances gouvernementales, ce serait quasiment impossible de faire un tel voyage, sauf à être envoyé en mission. Même le directeur de l’Institut français sur place n’a pas le droit d’inviter qui que ce soit, puisque c’est une zone rouge », nous dit le musicien.

« J’y suis donc allé avec ma compagne, Annely, en visite privée, invité par mes amis ukrainiens. Je n’ai pas eu besoin de visa, mais j’ai été livré à moi-même. Donc, pour tout ce qui a trait aux assurances, c’est un choix de prise de risques. » Son instrument précieux ne pouvant être assuré, Jean-Guihen Queyras a joué sur un violoncelle prêté par un luthier polonais, Jan Bobak. Les liaisons avec la capitale ukrainienne se font aisément : « Entre Varsovie et Kiev, les trains circulent plusieurs fois par jour et sont remplis. La communication n’est donc pas impossible. »

À Kiev, Jean-Guihen Queyras ne s’est pas contenté d’un concert. « Je voulais aussi jouer pour les soldats blessés, si c’était bienvenu. Denis Severin a donc établi le contact avec l’organisation Recovery, qui gère beaucoup de cliniques de rééducation sur le territoire, car cela prend des proportions dramatiques. J’ai pu jouer pour eux et leur dire que dans chaque concert, depuis l’invasion à grande échelle, je joue une mélodie ukrainienne. C’était très fort, même si ce sont de petites choses, car nous sommes de petites choses. »

 

Nouveau chapitre

Annely, la compagne de Jean-Guihen Queyras, a fait le lien avec l’ONG Voices of Children, qui s’occupe d’enfants traumatisés et déplacés. « Au cours d’un atelier, nous les avons fait danser, parler de l’expression de leurs sentiments par la musique. » Les images de cette rencontre qui circulent sur Instagram sont très touchantes. Le violoncelliste pense déjà à son retour là-bas, « parce que cela a du sens et parce qu’ils sont demandeurs ».

« Je suis abonné au Kyiv Independent, un journal du pays, qui porte bien son nom. Je vois qu’ils lancent un programme “Oser l’Ukraine”. L’idée est de dire : “Venez, on est un pays qui fonctionne malgré tout ce qui se passe.” Cela me motive. Mon nouveau projet avec ma compagne est de monter une fondation pour financer des voyages de musiciens sensibles à la cause ukrainienne, car sur place ils n’ont pas de moyens. »

Pour son déplacement, Jean-Guihen Queyras avait pris soin de laisser chez lui son nouveau partenaire musical, le violoncelle Pietro Guarneri du mécène québécois Roger Dubois, président de Canimex. « Cela faisait 17 ans que j’étais avec mon Gioffredo Cappa (1696), avec lequel j’ai vécu des choses extraordinaires. Mais, comme parfois dans la vie, je sentais le besoin d’ouvrir un nouveau chapitre. Certaines choses évoluaient dans mon langage et ne pouvaient se faire avec ce violoncelle-là. »

Pour entamer cette nouvelle phase de sa carrière, Jean-Guihen Queyras avait trouvé à Londres un violoncelle Montagnana avec lequel il donnait des concerts au début de l’année 2024. C’est avec lui qu’il a voyagé au Québec, en février 2024. « Quand nous avons joué en trio avec Isabelle Faust et Alexander Melnikov au Club musical de Québec, le mécène Roger Dubois était au concert. Le vendeur était en contact avec lui. M. Dubois m’a dit : “Il n’est pas mal, mais j’ai dans ma collection un Pietro Guarneri que j’aimerais bien que vous voyiez.” Je n’en avais jamais essayé. Le lendemain, on jouait à la salle Bourgie et M. Dubois a apporté ce violoncelle à la répétition générale. Je l’ai essayé et, tout de suite, j’ai senti quelque chose de moelleux, une belle pâte sonore », se souvient Jean-Guihen Queyras.

Après avoir consulté ses partenaires sur scène, le violoncelliste décida de jouer avec cet instrument au concert de la salle Bourgie, devant Roger Dubois. « Tout le monde a été d’accord pour dire qu’il y avait une entente d’évidence entre le violoncelle et moi. »

Le charisme

Ironie de l’histoire : dans les jours suivants était prévue, aux États-Unis, une suite pour les auditions d’instruments, avec un Stradivarius et un Montagnana glanés à New York. « Nous avons fait le trajet New York-Princeton avec un Stradivarius et deux Montagnana ; nous avions pour 36 millions de dollars de violoncelles dans la voiture ! » se rappelle le violoncelliste, qui a immortalisé le chargement. En fin de compte, l’instrument avec lequel il y avait une connexion évidente, c’était le Pietro Guarneri de Drummondville !

« Les commentaires, même de mes étudiants, après les concerts avec le Montagnana de Londres, étaient : “L’instrument est impressionnant, mais où est Jean-Guihen ?” Pour moi-même, sur scène, ce n’était pas ma voix. Avec le Pietro Guarneri, je n’ai jamais eu une telle réflexion. C’est mon identité, mais avec une ampleur, une suavité, une sorte de générosité, mais pas du tout en force. C’est un son très ouvert. »

Le premier enregistrement de Jean-Guihen Queyras avec son instrument québécois sera le Concerto de Lutosławski couplé à Schelomo de Bloch. « Pour Schelomo, je suis tellement heureux d’avoir rencontré cet instrument ! Le violoncelle incarne la voix, et on imagine cette voix qui, simplement par charisme, porte vers tout un peuple ! »

Le 20 septembre paraîtra une nouvelle version des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Un défi, alors que le premier enregistrement (2007) est considéré comme une référence. Comme dans les concerts récents, la nouveauté joue davantage sur la pulsation et l’esprit de la danse, avec un son plus neutre, plus naturel. Plus de musique, moins de violoncelle, moins d’artifices en quelque sorte. « J’ai voulu aller plus loin dans une forme de liberté, d’envolée, par rapport à la ligne de base. J’ai pris plus de liberté dans le cadre et, du coup, j’ai essayé d’aller un peu plus vers la danse et de profiter un peu plus des articulations, dans une proximité plus grande avec l’auditeur », résume l’artiste.

« J’étais conscient du risque [de réenregistrer ces oeuvres], car j’avais tellement de retours positifs sur le premier enregistrement. J’avais tout à perdre », reconnaît Jean-Guihen Queyras. « Mais il s’est passé beaucoup de choses dans l’évolution de ce que je suis, de ce que je vis. » La première raison du réenregistrement n’était cependant pas de trouver un univers sonore plus naturel. « C’était vraiment une autre forme de rebond », à laquelle cet univers sonore là sied bien, selon le musicien.

À Québec, le 26 septembre, Jean-Guihen Queyras jouera le Concerto pour violoncelle de Dvořák. Il connaît Clemens Schuldt, avec qui il a déjà collaboré à Munich. Le violoncelliste natif de Montréal s’est beaucoup réjoui de la nomination de ce musicien à Québec : « C’est un match très créatif ! » dit celui qui rodera son concerto pour Québec les jours prochains au… Concertgebouw d’Amsterdam !

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