Fière idée que de réunir les deux œuvres de musique de chambre écrites par Schumann pour piano et cordes, le Quintette bien connu, et le plus original Quatuor. Leur exécution sur instruments d’époque par des musiciens rompus à la pratique chambriste apporte une sève nouvelle à ces chefs-d’œuvre.

Outre trois Quatuors à cordes, l’année 1842 voit l’éclosion de deux autres œuvres de musique de chambre associant les cordes au piano. L’idée de les réunir et d’écrire pour Clara, était devenue une évidence pour Schumann. Ainsi compose-t-il coup sur coup un quintette et un quatuor. Si elles sont conçues dans la même tonalité de Mi bémol majeur, ces pièces sont de caractère bien différent. Ainsi un ton presque symphonique prédomine-t-il dans le Quintette pour piano et cordes op.44, sorte de concerto de chambre. Sa richesse thématique, traitée de manière cyclique, ses harmonies somptueuses, ses accents tour à tour fiers et mélancoliques lui valurent un succès immédiat, jamais démenti depuis lors. Que les présents interprètes se font un plaisir de renouveler. Débuté fiévreux, l’Allegro brillante alterne brio et douceur au fil d’enchaînements d’un grand naturel, partageant une rare fluidité du discours, comme improvisé. In modo d’una Marcia, le mouvement lent est pris mezza voce, lui conférant une émouvante profondeur qui s’accroît encore par un ralentissement du tempo. Un passage plus agité, presque boulé ici et plus fort, acquiert une coloration fantastique par la patine des instruments anciens. Le Scherzo Molto vivace, avec ses fameuses gammes, déploie une énergie toute orchestrale. Après un épisode plus lyrique, la coda prestissime et passionnée emporte l’auditeur dans un irrésistible tourbillon. Le finale possède pareil esprit de chevauchée jusqu’à sa coda fuguée. Le travail instrumental mené sous la houlette d’Isabelle Faust et d’Alexander Melnikov est repensé aussi bien en termes de rythmique assurée, mais non appuyée, que de dynamique extrêmement nuancée.

Quoique peu souvent joué, le Quatuor pour piano et cordes op.47 n’est pas moins essentiel dans la production chambriste de Schumann, par son originalité et son goût de la fantaisie. Il est de caractère plus intimiste que le quintette, apportant plus de profondeur, car visant une sorte de poétique de l’absolu. Ainsi de son introduction lente et mystérieuse avant un allegro sur un thème bien-allant nanti de gammes ascendantes, inspiré d’un choral allemand, jusqu’à une fin agitée traversée par une brève et intense mélodie du violoncelle. Molto vivace, le Scherzo possède un climat féerique, quasi mendelssohnien. Une légèreté que Melnikov et consorts épousent dans une répétition de notes presque fébrile à une allure soutenue. Le mouvement est interrompu par deux épisodes contrastants. Sommet de l’œuvre, l’Andante cantabile est conçu comme un Lied sans parole de facture tripartite. Il offre un chant d’une étonnante ductilité, le piano brodant délicatement sur les parties de cordes. Au médian, une séquence dominée par le violon et le violoncelle renchérit en intensité. À la coda apparaît un motif énigmatique de trois notes, qui sera repris au finale. Celui-ci, marqué Vivace, de nature fuguée, s’avère brillant, voire fantasque dans la pure tradition romantique lors de sa vaste et vive péroraison.

Interprétées sur instruments d’époque, ces pages, comme celles du Quintette, retrouvent nul doute leurs couleurs d’origine et une patine qu’enrichit le raffinement de jeu de chacun des cinq musiciens. Dépassant leur statut de soliste, rompus à l’exigeante discipline chambriste, ils égalent les formations spécialisées. Avec un je-ne-sais-quoi de liberté dans le jeu, digne de cette façon de faire de la musique entre amis, essence de ce qu’est et doit être la Kammermusik. Outre les magnifiques sonorités ambrées partagées par les violonistes Isabelle Faust et Anna Katharina Schreiber, l’altiste Antoine Tamestit et le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, on admire celle transparente du pianoforte de Pleyel (Paris, 1851) joué par Alexander Melnikov.

Les enregistrements studio, dans une ambiance aérée d’estrade de concert, dispensent un magistral équilibre entre les voix, le piano magnifiquement intégré parmi les cordes.

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