Ruy Blas (1839), inspiré du drame de Victor Hugo dont Mendelssohn méprisait le texte, illustre l’affirmation de Nikolaus Harnoncourt qui voyait dans ses Ouvertures les premiers véritables poèmes symphoniques. Car jamais on ne l’a entendue en concert aussi vibrante, narrative, contrastée (l’échelle dynamique), variée dans ses attaques et phrasés, lançant tonnerre et éclairs – tourmentée, emportée, mais appuyée sur une réalisation impeccable, et une clarté impressionnante de la structure.
Dialogue superlatif
Le Concerto pour violoncelle en la mineur de Schumann (1860), lui, raconte une autre histoire. Passons sur quelques scories inhabituelles dans le jeu de Jean-Guihen Queyras – y compris au regard de la justesse, ce qui est encore plus rare ! Et admirons sans réserve la pureté du style, la conduite et la plénitude des phrasés, la sensibilité, les couleurs (la sonorité de son Gioffredo Cappa de 1696 est typée) et cette articulation à la précision et à l’agilité fascinantes. Le dialogue avec le chef et l’orchestre est superlatif, dans l’unité des élans comme dans la cohérence si réciproquement attentive du jeu. Hengelbrock adoucit le ton, assouplit l’étoffe, et les musiciens interprètent ces nuances avec la même finesse qu’ils libéraient l’énergie chez Mendelssohn. La recherche d’intériorité ne s’accompagne d’aucune inertie. Le chef traite la toute fin du Langsam en générant une tension croissante qui amène inévitablement le basculement dans le Finale, porté par un tempo allant et une netteté d’attaque effaçant la sensation d’inconfort générée si souvent par le tout début de ce mouvement.
Dans le Langsam, le dialogue de Queyras avec Benoît Grenet, le jeune chef d’attaque du pupitre de violoncelles de l’OCP, dispense plénitude et complicité vraie, avec des couleurs instrumentales bien différentes – il le remerciera avec effusion à la fin. En bis, Queyras enchaîne comme souvent désormais deux pièces sans rapport apparent, ici une mélodie ukrainienne et la Sarabande de la Deuxième Suite pour violoncelle seul de Bach. Et comme à chaque fois, il met à jour assonances sensibles et correspondances secrètes.
Clarté impressionnante
Hengelbrock couronne ce concert si plein de caractère avec une exécution très personnelle de la Symphonie en ut majeur D 944 de Schubert – un compositeur qu’il a beaucoup joué, tant sur instruments anciens que modernes. Lecture là encore d’une clarté impressionnante, très allante – un exemple : le quasi precipitando qui mène de l’introduction Andante à l’Allegretto proprement dit ; notons qu’il fait jouer l’entrée des deux cors en coulisses, l’effet est magistral. L’énergie intérieure incoercible « dérègle » subtilement le pas schubertien. Car il multiplie l’éventail des tempos, en accord avec le travail thématique, stratifie les nuances dynamiques et expressives (entre éclat et intériorité), suscitant une ambivalence de climats, de temporalités même, réellement singulière. Détailler comme il le fait la première phrase de l’Andante con moto, avant même l’entrée du hautbois est du grand art. Comme les légers ritenutos audible dans le finale, rien dans ses décisions d’interprète n’est artificiel : tout est logique, profondément musical, et réalisé avec un souci constant des équilibres sonores. Seule l’acoustique très directe du TCE pare parfois d’un rien de sécheresse cette vision si présente et habitée. Mais ce n’est que contingence dans ce concert exaltant qui dit si bien ce qu’est le romantisme allemand. En vérité – qu’on veuille bien excuser cette conclusion abrupte –, Thomas Hengelbrock serait un parfait directeur musical d’un OCP orphelin du regretté Lars Vogt…