Rapprocher les sonates de Chopin et de Rachmaninov, « intimement liées par l’hommage très fort » que le second rend au premier, n’a rien de rare, comme le rappelle la notice. Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov se distinguent toutefois par le choix d’un Erard de 1885 pour aborder l’Opus 65 terminé par Chopin en 1847, et un Steinway moderne pour l’Opus 19de 1907. Une telle option accentue le contraste entre les deux partitions, l’une plus sombre, aux couleurs automnales, l’autre plus luxuriante, tirée vers la lumière de son finale en sol majeur. L’interprétation les réunit dans un même attachement à la rondeur des phrasés, à la couleur du son, à la fluidité du discours. Scintillants ou feutrés, les chatoiements du clavier répondent à la quiétude olympienne du violoncelle, qui progresse dans ces pages souvent agitées comme un navire habitué à affronter des tempêtes- dans le finale de la sonate de Rachmaninov ou dans le Scherzo de celle de Chopin, par exemple. Cela n’empêche nul bondissement soudain, nulle fermeté dans les accentuations, pour soutenir les lignes mélodiques dessinées d’un geste ample et volontiers sobre. Pour une lecture plus passionnée, on se tournera par exemple vers Rostropovich/Oborine pour Rachmaninov, ou Jacqueline du Pré/Daniel Barenboim pour Chopin. Dans l’approche tirée à quatre épingles de Queyras et Melnikov, les mouvements lents diffusent sereinement leur parfum mélancolique- la raison ne se laisse pas facilement déborder parle cœur. Sans jouer la surenchère expressive, Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov convainquent par leur maîtrise, leur perfection formelle et le contraste qu’ils instaurent entre les deux instruments.