Le violoncelliste s’est embarqué sur la plateforme Idagio, pour trente-six vidéos, une par mouvement. Objectif : explorer avec ses spectateurs en ligne les arcanes de ce monument « bâti non pas avec les marbres les plus stupéfiants, ni avec de l’or, mais avec un matériau simple ». Invitation à visiter avec lui ce qu’il qualifie de « château dans le désert ».
Sur le site de la plate-forme de streaming Idagio, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras a lancé une série d’« ateliers » autour d’une œuvre-phare du répertoire : les six Suites de Bach. Chaque épisode, d’abord diffusé en direct puis visible en ligne, est consacré à un mouvement, du célèbre Prélude de la première Suite en sol majeur jusqu’à l’ultime Gigue.
Le violoncelliste propose d’abord une analyse de la pièce, embrassant sa structure générale et entrant dans certains détails, qu’ils relèvent de la composition – l’Allemande de la première Suite est ainsi décrite comme une danse entre sol majeur et ré majeur – ou de la technique instrumentale.
La technique en général : jouer avec ou sans pique ? L’absence de pique déplace le centre de gravité vers le bas et facilite certains traits d’archet. La technique pour tel détail : à propos des accords renversés dans le premier Prélude, ces accords qui ne commencent pas sur la basse mais sur une autre note, Queyras transmet ce que lui avait appris le regretté Anner Bylsma : « il faut donner à cette première note un peu plus de substance, un peu plus de timbre, un peu plus de contact de l’archet, afin de suggérer à votre auditeur que, oui, il y a une note de basse qu’on n’entend pas encore et qui va probablement être exposée plus tard dans la mesure. » La démonstration rappelle, naturellement, que la technique se met au service de l’expression et de la compréhension de l’écriture.
Echanges avec Anne Teresa de Keersmaeker, Pierre-Laurent Aimard, Amandine Beyer…
C’est encore l’expression qui doit servir de guide pour répondre à l’épineuse question des articulations et les coups d’archet. En effet, le manuscrit autographe des Suites pour violoncelle de Bach est perdu, et nous les connaissons d’abord par une copie d’Anna Magdalena. Difficile de dire si les liaisons y sont exactes, quand bien même on arriverait à déterminer précisément la note d’où elles partent et celle où elles arrivent. À nouveau, Queyras rappelle encore les conseils de Bylsma : scruter le manuscrit, mais aussi chercher où le phrasé nous mène, quitte à jouer, un temps, sans aucune liaison, pour expérimenter.
En plus de répondre à quelques questions de spectateurs, chaque épisode donne lieu, en sa seconde partie, à un échange avec une personnalité : Anne Teresa de Keersmaeker, Pierre-Laurent Aimard, Paolo Pandolfo… Avec Amandine Beyer, Jean-Guihen Queyras discute rapport à la danse et à l’espace – tous deux ayant joué pour des chorégraphies de Keersmaeker -, instruments anciens et modernes, cordes en boyaux.
Autant que l’intérêt du propos, le perpétuel mouvement entre considérations générales et attention aux détails, la générosité et l’enthousiasme du violoncelliste sont pour beaucoup dans le plaisir qu’on a à suivre cette série. Seule limite : tous les lives d’Idagio se faisant dans la langue de Shakespeare, il faudra posséder un niveau correct de compréhension orale de l’anglais – mais Jean-Guihen Queyras y demeure toujours très intelligible.