Relisons Oscar Wilde ou Bernard Shaw : l’Anglais est volontiers excentrique, avec ce léger sentiment de supériorité qui le rend inimitable (ce sont des insulaires, que voulez-vous). Roger Norrington, quatre-vingt-quatre ans, n’a pas dérogé à cette tradition fermement établie, l’autre soir à la Philharmonie, à la tête de l’Orchestre de Paris.
Il arrive, démarche pateline, tel un distinguished membre de la Chambre des communes, s’assoie lentement sur une chaise qu’il fait tourner sur elle-même, toisant salle et public, sourire amusé. L’Ode funèbre maçonnique de Mozart déroule ensuite ses phrases étreignantes, tempo allant, contrastes dessinés, interventions solistes aérées. Applaudissements. Sir Roger recommence son manège, s’adresse à la salle dans un français impeccable ; arguant que cette page est si belle, si rarement jouée, et si brève, il déclare qu’il a envie de l’entendre à nouveau… et la bisse sur le champ. C’est plus fluide et émouvant encore. Applaudissements encore plus nourris.
Suit le Concerto pour violoncelle de Dvorak, dont l’ampleur exige une autre endurance. Norrington fait jouer les cordes senza vibrato, fait donner les timbales et la cuivraille (surtout dans l’Allegro), préservant néanmoins une conduite détendue, toujours ciselée et narrative. Il est vrai que son soliste est Jean-Guihen Queyras (qui l’avait déjà joué avec l’Orchestre de Paris en 2004). Et qu’on admire chez lui aussi l’aisance, la légèreté, cet archet si mobile et élancé ; quelques pailles de justesse, un ou deux petits accrocs, ne sont rien tant est séduisante cette façon si spontanée et lyrique de jouer l’œuvre (avec du vibrato, mais en en usant toujours à bon escient). Chef et soliste écartent un romantisme trop solennel, s’écoutent et se répondent, au plaisir non dissimulé de Sir Noger ; tournoiement obligé, il suscite les applaudissements du public entre les mouvements. Lui-même amusé par cette cordialité – on aimerait les entendre ensemble dans le Concerto pour violoncelle d’Elgar ! -, Queyras déclare sa flamme à l’Orchestre de Paris, avant de jouer (« pour ma tante Suzanne, qui vient d’avoir quatre-vingt-dix ans » : compliments, Madame !) le Prélude de la Première Suite pour violoncelle seul de Bach : vision superbement conduite, là encore, subtilité rhétorique et phrasés organiques, respiration infiniment recommencée (Paul Tortelier disait : « C’est comme un ruisseau, une source »).
C’est à un vaste morceau que Norrington s’attaque après l’entracte : la Symphonie n° 1 d’Edward Elgar (1908) fait son entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris (une semaine plus tôt, avec David Zinman, c’est le Français Charles Koechlin, pas simplement une de ses œuvres, qui faisait de même ! Parfois, on se demande…). Mais il est là At Home : quasiment avachi en arrière sur sa chaise (vous savez bien, celle qui tourne), mais le bras souvent haut, geste précis et poignet souple, il guide des musiciens encore un peu sur leur quant-à-soi dans l’Andante Nobilmente e Simplice-Allegro de cette œuvre riche et touffue, dont le leitmotiv se travestit au fur et à mesure des mouvements. Mais le rythme gagne en netteté, le souffle enfle, le lyrisme se déploie, les couleurs rayonnent ; l’Adagio est un sommet. Tout au long, Sir Roger ne perd rien de son esprit (Allegro molto) ni de son art de la clarification, qui évite les relents « victoriens ». Il souriait toujours à la fin. Mais son émotion et sa reconnaissance étaient palpables, comme la joie que lui avait procurée le jeu chaleureux et généreux de l’Orchestre de Paris.
Jean-Guihen Queyras, Roger Norrington et l’Orchestre de Paris, Philharmonie de Paris, le 30 mai.